TRANCHE DE VIE | LA LOYAUTÉ N’EST PLUS CE QU’ELLE ÉTAIT
Partir, c’est mourir un peu ; mais mourir c’est partir beaucoup – Alphonse Allais
Duflou revivait dans sa tête le cours des événements de la journée, une journée incroyable…
Sorti major de son Ecole de juristes – Sup de Loi / Clichy – dont il était si fier et où il enseignait parfois en tant qu’ancien élève qui a réussi (à quoi? on se le demande…), il était entré directement chez nous. D’abord dans un poste de débutant.
Il avait été sensible, comme tous les nouveaux arrivants, à cette séance ‘d’induction’ (Le mot est évocateur, il aurait du se méfier) où la contre partie d’une contribution constante et efficace lui avait été dévoilée par ces mots : « Toi aussi, un jour peut-être… » (Le DRH pointant alors son doigt vers le plafond avec un air convenu). Quel con! Il avait pourtant vu cet organigramme: une pyramide des ages, dont le sommet était maigrement peuplé de quelques vieux survivants… Et en observant les équipes, presque exclusivement composées de ‘jeunes’, il ne s’était pas demandé où étaient passés les vieux, ceux qui n’étaient pas montés dans la pyramide. Dissous sans doute?
Petit à petit, il avait progressé. Duflou était du genre fourmi, un bon laboureur traçant droit le sillon et âpre à la tâche. Pendant 25 ans il avait ainsi contribué à la grande oeuvre, acceptant une carrière moyenne qui l’avait finalement amené aux marches du fameux CODIR («Toi aussi, un jour… »).
Il était resté dans l’entreprise : fidèle, loyal. Il avait suivi le courant des changements en s’adaptant de son mieux. Certes il avait du mal avec Windows Vista et Powerpoint, mais il avait accepté de bon cœur de s’embarquer dans les nouveaux modes de management qu’on lui avait proposés, comme dans autant de bateaux plus ou moins navigables (Le management matriciel, le management par objectifs, le management par coaching, le management invisible, …)
Aujourd’hui, il était arrivé comme tous les jours, un peu en avance – hé oui, on est manager quand même ! Il s’était assis à son bureau, avait ouvert son ordinateur, lu ses mails, imprimés la veille au soir pas son assistante, et notamment celui de Laporte, son grand patron et DRH. Il disait :
De : Martial LAPORTE/IDRH/FDRH/DRH/RH
A : Thomas DUFLOU/IDRH/FDRH/DRH/DJ
Bonjour Thomas,
Passez au plus vite dans mon bureau ce matin SVP.
Cdt
Martial
Alors bien sûr il y est allé.
Laporte avait l’air embarrassé… en fait Thomas ne l’avait jamais vu comme ça. Il a pris un papier sur son bureau, et quand Thomas s’est assis, il le lui a tendu avec une mine bizarre et un regard chafouin. Thomas l’a lu. D’abord, il n’a pas compris. Il fait bien son boulot. Il a fait tout ce qu’on lui a demandé, le pénible, le dur, le possible et même parfois l’impossible. Comment pouvait-on lui dire qu’on l’invitait à un entretien pour discuter d’un éventuel licenciement. Il devait y avoir une erreur. Ces choses là n’arrivent pas comme ça.
Et puis il a du partir et vider son bureau, Thomas, reprendre le petit cadre avec les photos de famille, et tous les petits souvenirs ridicules qu’on accumule en 20 ans.
Il est revenu chez lui, et il a fallu qu’il explique tout cela à sa madame Duflou.
Mais comment expliquer ce qu’on ne comprend pas?
Dans la vie il y a deux expédients à n’utiliser qu’en dernière instance : le cyanure et la loyauté – Michel Audiart
– Remerciements à mon ami de toujours, Bruno Colomb grand DRH devant l’eternel –
#CEDEP, The best kept secret in Exec Ed, #boredomkills, #CEDEProcks
Vivement que tu écrives un livre avec ces contes, il y a du La Fontaine en toi, avec de la jouvence en plus…
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