SI MA TANTE EN AVAIT… (Fable Corporate)

TRANCHE DE VIE | L’INTERLUDE BUDGETAIRE

Putain de budget – Sisyphe

On n’aurait jamais du l’envoyer en stage à L’INSEAD, Morzadec.  Déjà qu’il était chiant naturellement, le voilà maintenant revenu bouffi de certitudes et d’idées nouvelles pour nous pourrir la vie: l’ayatollah du management par objectifs!  Mais bon, Morza c’est le bras droit du chef, alors on la ferme tous …

On en est à notre troisième mois de discussion budgétaire sans aboutir à rien de concret. Ça avait plutôt bien commencé en Septembre, quand il a parlé de ‘prévisions objectives’, et ‘d’objectifs rationnels’…

Jusqu’à ce que quelqu’un pose la question qui tue :

–  Alors, on peut proposer un budget de ventes à la baisse… si c’est réaliste bien sûr?
– Ben non! C’est pas vraiment prévu comme ça!
– Alors c’est quoi tes histoires d’objectivité, de bottom-up, de responsabilité partagée?
– …

IMG_2979 Cut DT BWC’est là, au tout début, que tout a commencé à foirer!  On a bien vu que sa nouvelle lubie: nous faire tout budgéter ‘rationnellement’, ne tenait pas la route…

Michaud a lâché, l’air de rien :
– Ne me dis pas que chez Danone, chaque année, des cadres sérieux passent trois mois à tenter d’estimer combien de yaourts, parfum fraise des bois, ils vont vendre dans le sud de l’Albanie, à travers leur réseau de distribution «Modern trade», 18 mois plus tard?
(Il est bien Michaud : toujours poli, toujours pertinent, toujours logique, toujours rationnel.  Je n’aimerais pas l’avoir dans mon équipe)
– Ben… Je crois que si

Piedalu, l’air de ne pas y toucher, a alors ajouté perfidement:
– Et combien de temps ça prend entre le moment où ils signent le budget et le moment où il devient obsolète?
– Ben… Comme chez nous j’imagine. Le budget est obsolète aussitôt qu’il est signé.  C’est inhérent à l’exercice… blablabla…

Un silence gêné s’ensuivit.  Brisé par une question de Martial, notre DRH :
– Vous, on vous demande de réduire les couts, moi on me demande de réduire les effectifs.  On a calculé combien ca nous coutait ce processus budgétaire?
– Ben… c’est facile: la moitié des cadres, à 25% de leur temps, pendant 3 mois. Si tu me donnes le salaire moyen, je te répondrai !

Un silence, de plus en plus embarrassé, a suivi.  Une petite voix venant du fond de la salle a suggéré alors:
– On devrait donner la moitié de cette somme à notre consultant bien-aimé Volpone pour qu’il fasse lui-même notre budget. Il serait tout aussi obsolète que le notre et ça nous couterait finalement moins cher…

Imparable !

Ça c’était il y a trois mois. Entre temps Morza a fait sa petite dépression, et il a bien fallu avancer…  Au final, le concept de budget s’est transformé (et ce n’est peut être pas fini) en 4 types de budgets ‘dérivés’, que nous avons dû  créer pour satisfaire tout le monde :

. le ‘budget ‘normal’, appelé communément ‘budget budget’, celui que nous sommes censés avoir bâti ‘objectivement’
. le ‘spiritual target’, que nous envoyons au Headquarter pour leur faire plaisir (reflétant toujours une croissance à deux chiffres, selon notre rituel interne)
. le budget ‘appros’, créé en parallèle par nos amis de la supply-chain pour compenser les lacunes qu’ils croient deviner dans les calculs de leurs collègues du marketing et de la vente (à moins que ne soit une question de confiance?)
. le budget ‘prime’ à partir duquel sont calculés nos bonus et augmentations… pas fous !

Un cauchemar !  Sans oublier bien sûr que tout cela est dynamique et se décline en pre-budgets, tendances, recommandations et autres ‘estimates’…

Alors quand Michaud, il y a deux minutes, au moment où nous étions sur le point de conclure, a posé la question « OK mais pour les 12%, on parle bien du ‘pre-budget  prime’ … du deuxième semestre? », j’ai failli craquer.

Une vision surréaliste m’est apparue.  Saint Paul parlant à Jesus, circa 33 a.d.:
– on termine bien l’année fiscale patron!! L’année prochaine, on peut viser un pre-budget de 17 apôtres et un taux de conversion en hausse de 33% en moyenne corrigée …
– et pour le spiritual target ?

Les prévisions sont difficiles, surtout quand elles concernent l’avenir  – Pierre Dac

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